Le pouvoir de dire non : Giulia Tripoli
Pour le Story Bloom de ce mois-ci, nous avons discuté avec l’incroyable Giulia Tripoli du comment et du pourquoi il est important d’apprendre à parler dans le milieu de la danse et surtout d’être capable de dire non. Personnalité influente, investie et positive dans la communauté de la danse à Montréal, Giulia est une motivatrice, chorégraphe et créatrice qui, depuis 2008, a dansé autour du monde. Elle est la fondatrice et la directrice du Studio Tripoli, reconnus à Montréal pour sa programmation variée de «drop-in», de même que l’animatrice du podcast Dance Plug Canada. En 2020, Giulia a également fondé Project Re, son organisation à but non lucratif. Project Re est dévoué à une réorientation du milieu de la danse à travers la reconnaissance des différences, pour l’inclusion et le respect des un. e.s et des autres. Nous sommes honorés que Giulia nous ait partagé ses valeurs interpersonnelles et sa vision d’espoir pour la prochaine génération de danseuses et danseurs. Voici son percutant témoignage ci-dessous.
Photo par Sarah Steben
Tu es une artiste accomplie en danse, mais tu fais beaucoup plus que de la danse. Tu es aussi motivatrice, propriétaire d’un studio, enseignante et animatrice du podcast Dance Plug. Que signifient pour toi toutes ses différentes facettes de ton travail et de ton expérience artistique ?
Tu viens de le nommer. Je peux m’adapter à plus d’un contexte. Je suis sincèrement inspirée par tant de choses, que je cherche toujours à définir mon art de plusieurs manières. Tu te retrouves en train de créer des endroits qui n’existent pas encore, lorsque tu es constamment attiré sur les chemins les moins fréquentés. Je me sens choyée de vivre une telle existence. J’espère que je peux être un exemple pour certain.e.s au sein de la communauté afin de leur rappeler qu’il est important de reconnaître leur unicité et de tracer leur propre parcours. Il n’y a aucune obligation de suivre ce que les autres font de cette forme d’art. Nous sommes chacun.e sur notre propre chemin, conduisant sur notre propre voie, parcourant la route la moins fréquentée.
Cette année, tu as démarré Project Re, une organisation à but non lucratif vouée à une réorientation du milieu de la danse à travers la reconnaissance des différences, pour l’inclusion et le respect. Qu’est-ce qui t’a amené à démarrer Project Re ?
Il y a plusieurs types de problèmes dans le milieu de la danse qui m’ont conduit vers Project Re. Des comportements manipulateurs peuvent prendre plusieurs formes. Ils peuvent même sembler gentils et attachants. J’encourage les jeunes danseuses et danseurs à remettre en question ce qui ne va pas le plus possible, surtout si une situation leur donne l’impression de ne pas être en paix avec leurs sentiments. C’est à ça que sert notre instinct. Si quelque chose semble étrange, on ne devrait pas l’ignorer.
Prenons en considération les scénarios problématiques suivants: Un.e chorégraphe te demande de rester seul.e tard le soir après une répétition. Un.e enseignant.e attaque continuellement ton image corporelle, tes habitudes alimentaires ou tes capacités mentales. Un.e mentor.e pousse votre relation au niveau physique ou sexuel. Ton instinct devrait être en état d’alerte et tu devrais parler avec quelqu’un en qui tu as confiance.
Souvent, de jeunes artistes ne dénonceront pas ce genre de situations lorsqu’elles surviennent, parce qu’il y a une confusion entre manipulation et amour. Elles et ils croient que c’est ainsi que l’on doit être traité quand quelqu’un se soucie de nous. Et quand ces artistes commencent à travailler dans le milieu, elles et ils ne dénonceront souvent pas non plus, à cause de la peur de voir leur carrière détruite. En vérité, quand nous acceptons ce genre de situations et de comportements, nous encourageons cet affreux récit à se poursuivre. On devient impuissant. Si nous nous donnons la permission de dire NON, nous devenons en mesure de changer l’histoire pour le mieux. C’est difficile à faire, en particulier dans les milieux qui ont des problèmes systémiques. C’est incroyablement facile de se cacher derrière l’assertion que « c’est comme ça dans le milieu ». Project Re, c’est la possibilité d’offrir un endroit sécuritaire vers qui se tourner pour se sentir supporté. Si tu trouves le courage de dénoncer, des actions seront déclenchées. Notre but n’est pas de réprimander ce qui est mauvais. Nous sommes ici pour célébrer les bons coups et s’assurer que ce soit ces danseur.se.s, chorégraphes, studios et compétitions qui soient sous les projecteurs. Plutôt que de diffamer ceux.celles qui font le mal, défendons celles.ceux qui font les choses correctement.
Peux-tu nous en dire plus à propos de l’importance de créer des espaces sécuritaires et sécurisants pour les artistes du milieu non seulement pour reconnaître les problèmes d’inconduite, mais aussi pour travailler ensemble à l’élaboration de solutions ?
De mon point de vue, se plaindre pour se plaindre ne te mènera nulle part. Le monde de la danse, comme plusieurs autres milieux, est complaisant depuis trop longtemps. Les gens assument que c’est ainsi que fonctionne le monde et acceptent cette notion sans plus de réflexion. Ce n’est pas obligé d’être ainsi. Le monde peut être ce que nous en faisons.
Il y a trois valeurs majeures qui me tiennent à coeur pour le milieu de la danse. Celles-ci font partie intégrante de ce en quoi nous croyons chez Project Re.
La communauté, plutôt que la compétition: Les communautés sont formées d’individus, chacun.e jouant un rôle crucial qui participe à la vitalité des un.e.s et des autres. Nous ne rivalisons pas pour nous intégrer aux mêmes endroits. Chacun.e s’efforce plutôt de trouver où vivre à son meilleur. Nous devons réaliser qu’une lumière n’éclaire pas moins, parce qu’une autre brille. Nous avons tous.tes une place juste pour nous, prête à être illuminée.
Être prêt.e à être appelé: C’est terminé de dépenser notre énergie envers ceux et celles qui n’apprennent pas et n’évoluent pas pour devenir meilleur. Réorientons notre perspective et soulignons le pouvoir que chaun.e peut avoir dans ce milieu. Il existe une voix en chaun.e de nous, un instrument fait pour être entendu. Sois ouvert à partager ta vérité et ton importante histoire.
Savoir que c’est ok de dire NON: Je crois que nous devons écouter nos sentiments intérieurs, ce doute constant qui nous fait hésiter entre prendre notre place pour dénoncer ou se ranger, puisque c’est plus facile. Qui que tu sois dans cette communauté, saches que tu n’es pas seul.e à vivre avec le doute. Je veux relever le défi de prendre la parole et permettre aux autres de sortir de la négativité. Je nous propose de créer et de plonger dans une communauté solidaire et sécurisante. Quand nous franchirons ce pas, personne ne pourra nier où nous allons.
En tant qu’édifiante leader de la communauté montréalaise, tu as été témoin du pouvoir de l’interconnexion, du respect et de la dénonciation. Quel conseil pourrais-tu laisser à la prochaine génération de danseuses et danseurs pour perpétuer le mouvement ?
J'espère voir la prochaine génération de danseur.se.s arriver à maturité dans un monde qui normalise les différences. Différents types de corps, différents points de vue, différents bagages. Ce n’est pas tout le monde qui est représenté par une seule image. Je souhaite que les artistes en danse sachent que c’est aussi bien d’être différent. C’est correct si cette «différence» implique que tu ne cadres pas dans une certaine norme ou image prédéterminée. Soutenons également le code de respect des autres dans la communauté. Si quelque chose ne va pas, tu peux et tu devrais parler.
Finalement, je veux que la prochaine génération sache que s’il n’y a pas de siège pour toi à la table, tu n’as pas à te conformer pour t’y asseoir. Tu peux simplement construire une nouvelle table.
Pour plus d’inspiration de la part de Giulia, tu peux aller visiter sa page Instagram (@giulia_tripoli) ou le site web du Studio Tripoli. Nous encourageons les Bloomies à en apprendre davantage sur le Project Re et son puissant message en les visitant également sur leur page Instagram (@proj.re).