L’espace santé pour les artistes BIPOC en danse : Dr. Blessyl Buan

Pour le Story Bloom de ce mois-ci, nous nous sommes entretenu avec l’incroyable Dr. Blessyl Buan au sujet de l’importance d’espaces de santé pour les artistes BIPOC en danse. L’acronyme anglophone BIPOC vous est peut-être familier - il fait référence aux personnes noires, autochtones et aux gens de couleur (Black, Indigenous, and People of Colour). Blessyl est une chiropraticienne, artiste en danse et conférencière torontoise. Elle est également chroniqueuse sur la santé en danse dans The Dance Current et a été membre du conseil d’administration de Healthy Dancer Canada. La carrière de Blessyl, partagée entre professionnelle de la santé et artiste en danse commerciale, lui permet de mieux comprendre la réalité propre à chaque artiste et comment le domaine de la santé s’inscrit dans le milieu de la danse. En 2020, elle crée le BIPOC Dance Health Directory, un répertoire des professionnel.les BIPOC de la santé en danse. Cette initiative a pour objectif de mettre en valeur ces professionnel.les et de faciliter l’accès à des praticien.nes pour les artistes BIPOC du Canada en danse. Blessyl nous partage ses conseils pour danser pendant la pandémie, de même que la nécessité d’espaces de la santé en danse qui représentent mieux la diversité des réalités de la danse au Canada. Ci-dessous, lis son témoignage inspirant.

 

Photo par Whitney Erin Photography

 

Ta carrière touche plusieurs domaines - tu es une artiste en danse, chiropraticienne et initiatrice de plusieurs projets en santé au Canada. Qu’est-ce qui t’a amené dans le milieu de la santé ?

Les 14 premières années de mon éducation en danse ont eu lieu dans des sous-sols d’église sans miroir. Alors que ça semblait désavantager mon entraînement en danse, ça m’a en fait aidé à développer une conscience corporelle. Cette observation de l’alignement de mon corps me permettait d’évaluer sa manière de supporter ou non ma performance dansée. Cette curiosité s’est naturellement transformée en un intérêt pour l’anatomie humaine, la biomécanique et les blessures sportives. Je suis allée étudier en kinésiologie à la McMaster University, tout en continuant à m’entraîner et à performer au travers de mon parcours universitaire. Peu de temps après, j’ai été découverte par un agent et j’ai commencé ma carrière professionnelle en danse commerciale. Comme plusieurs danseur.ses, j’ai accumulé des blessures avec les années. Éventuellement, j’ai travaillé ces blessures avec un chiropraticien qui était un danseur retraité du National Ballet of Canada. Dès lors, j’ai décidé de fusionner mes deux passions en une carrière. Je travaille en chiropratique depuis maintenant 15 ans. Je crée du contenu en lien avec la santé, tout en promouvant la diversité et l’inclusion au sein des communautés qui soutiennent la santé en danse. Jusqu’aux dernier moment avant le début de la pandémie, j’ai aussi eu le privilège de performer et de m’entraîner en tant qu’artiste multidisciplinaire en danse. 

D’après ton expérience, à quel niveau se situent actuellement les carences pour les artistes BIPOC en danse en termes de besoins et services ?

D’abord, il est intéressant de savoir qu’actuellement l’imagerie, la recherche, les politiques et les directives du paysage de la santé en danse semblent s’adresser seulement au monde du ballet. Vous pourrez souvent voir des danseur.ses issus de la diversité qui sont utilisés à titre d’images symboliques, de tokenisme… mais en réalité, de vraies actions n’ont pas encore été prises pour améliorer l’accès et l’engagement envers les diverses populations de la danse. À cause des normes en place présentement, les artistes BIPOC en danse ne sentent pas qu’elles et ils méritent des soins de santé plus favorables. Où peuvent-elles et ils trouver des espaces sécurisants à cette fin? Où se trouve la représentation des professionnel.les de la santé qui peuvent valider leurs besoins en tant qu’artiste BIPOC? Les professionnel.les BIPOC de la santé en danse ont un problème similaire, celui de naviguer difficilement dans un système qui ne valorise pas équitablement leur travail. Les gens doivent savoir qu’il existe des professionnel.les de la santé BIPOC. C’est une lourde tâche que de verbaliser l’inégalité à laquelle tu fais face en tant que personne BIPOC tout en essayant simultanément de faire avancer ta carrière. En matière de service, l’approche holistique est importante dans l’accompagnement de la santé en danse. Comment pouvons-nous honorer la science, la culture, le récit, la communauté, les traumas générationnels et le savoir ancien à l’intérieur de la conversation sur la santé en danse? Après tout, la danse à l’origine possède une magnifique histoire empreinte de récits générationnels et culturels. Le secteur de la santé en danse se doit d’être ouvert et en mesure de refléter ça. 

En 2020, tu as amorcé le répertoire BIPOC de la santé en danse. C’est une ressource destinée aux artistes BIPOC en danse pour rencontrer des professionnel.les de la santé qui pourront répondre à leurs besoins spécifiques. Peux-tu nous en dire plus sur les raisons qui t’ont poussé à créer cette initiative ?

Mon éducation a influencé ma carrière, mes passions et ma vision de la santé en danse. J’ai grandi dans une ville culturellement diversifiée, à Scarborough en Ontario dans les années 80 et 90. La musique, la danse et la notion de communauté ont tissé des liens serrés au coeur de mon développement et de mon identité. Ce n’est que lorsque j’ai entamé des études supérieures que ma communauté a changé. Je faisais maintenant partie de la minorité. J’ai vu mes opinions et ma confiance s’effacer au fur et à mesure de cette réalisation. La danse était ma bouée de sauvetage en terme de communauté et promouvoir la diversité en danse est devenue un thème central dans ma vie. Au cours de mes études au premier cycle, je participais au McMaster University Dance Club. J’ai joué un rôle déterminant sur la production de deux spectacles entiers qui mettaient en valeur des styles de danse divers et desquels émanaient les valeurs qui me suivent depuis l’enfance. Quand j’ai débuté ma carrière à titre de professionnelle de la santé et artiste en danse, j’ai remarqué que les conférences en danse représentaient généralement la perspective européenne ou « blanche ».  Au Canada, il n’existe pas ou peu de considération pour la diversité culturelle de la danse. Ma sensibilisation à cet enjeu s’est poursuivie jusqu’en octobre 2020, lorsque j’ai participé à un cours en ligne en lien avec la santé. Une question a été posé concernant les artistes de couleur et les manières d’être accompagné en cette période difficile. J’ai été témoin d’un docteur qui a ignoré la question en répondant que « rien ne pouvait être fait pour aider les personnes de couleur, sauf peut-être si les-dites personnes de couleur allaient s’éduquer dans le travail social ou quelque chose du genre ». C’était effrayant et enrageant d’entendre de tels propos. La négligence flagrante de l’existence des praticien.nes BIPOC a déclenché en moi le désir de créer le répertoire BIPOC de la santé en danse. Je veux promouvoir les professionnel.les BIPOC de la santé en danse et les mettre en contact avec les artistes BIPOC pour montrer que la situation est toute autre. C’est le moment de remettre en question les systèmes établis. C’est le moment de construire une communauté. 

La pandémie a occasionné beaucoup de changements pour les artistes en ce qui a trait à l’entraînement et l’espace disponible pour leur pratique. Quelles ressources peux-tu partager pour encourager les jeunes danseur.euses à prendre soin de leur corps en ces temps non-conventionnels ?

C’est tout un défi que de s’entraîner dans de petits espaces sans contact social ou physique! C’est un temps pour se concentrer sur le développement et l’exploration de ta créativité la plus profonde pour cultiver ta technique et ta passion pour l’art, de sorte à ce qu’elle soit bien vivante quand nous pourrons à nouveau nous réunir en studio et en salle de spectacle. Je t’encourage à utiliser les ressources qui sont disponibles en ligne pour t’accompagner dans cet entraînement non-conventionnel (par exemple, des cours de danse en ligne, des vidéos d’entraînement ou des blogs). J’ai créé une compilation de vidéo d’entraînement en danse sur mes réseaux personnels dans le but d’offrir des outils gratuits et accessibles pour tous les danseur.euses en ce temps de confinement. J’ai également fourni quelques recommandations sur l’entraînement pendant la pandémie dans un article que j’ai écrit pour The Dance Current. Il s’intitule « The Home Studio ». Mon conseil ultime serait de trouver de nouvelles manières de t’exprimer à travers la danse et d'autres formes d’art. Et bien entendu, reste en forme, tout en restant à l’écoute de ton corps et des paramètres de ton environnement. Explore, amuse-toi et prends soin de toi. 

Pour plus d'informations sur Blessyl, tu peux la suivre sur Instagram (@drblessyl) et sur son site web. Nous encourageons les Bloomies à consulter le BIPOC Dance Health Directory, le répertoire BIPOC de la santé en danse.

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