Danse et création multimédia : Andrea Peña

Ce mois-ci, nous avons discuté avec Andrea Peña à propos des possibilités qu’offrent l’alliage de la danse et de la création multimédia. Originaire de la Colombie, Andrea est une chorégraphe et designer du mouvement située à Montréal. Artiste multidisciplinaire, Andrea est connue pour ses chorégraphies complexes à la croisée des domaines du design et de l’installation artistique. Son travail émerge souvent d’une recherche conceptuelle et permet aux spectateur.trices de prendre part à son univers abstrait. En 2014, Andrea a fondé le collectif d’arts contemporains Andrea Peña & Artists (AP&A) en tant que directrice artistique et chorégraphe. La compagnie est reconnue pour ses grandes installations artistiques qui abolissent les frontières entre danse et technologie. À ce jour, AP&A a tourné à l’international avec plusieurs œuvres primées. Elles ont été présentées entre autres à Hong Kong, en Inde, en République Dominicaine, ainsi qu’à Tokyo. Andrea nous partage la manière dont son bagage en tant que danseuse et designer industrielle l’a conduit vers l’exploration du design multimédia, de même que ce qu’elle espère pour l’avenir de la danse et de la technologie. 

Voici son inspirant témoignage. 

 

Photo by Bobby Leon

 

Comment as-tu amorcé ce travail d’incorporation de multiples formes de médias dans ta pratique artistique ?

Je viens d’une famille très créative, j’ai donc moi-même toujours été créative. Ma carrière de danseuse professionnelle a été compromise par plusieurs blessures et c’est à ce moment que j’ai décidé de retourner à l’école pour explorer plus en profondeur cette facette de moi-même. J’ai complété le premier cycle à l’Université Concordia tout en bâtissant ma compagnie Andrea Peña & Artists (AP&A). Vers la fin de mes études en design industriel, j’ai réalisé que j’avais explorer en surface seulement ce que le design signifiait pour moi en tant que praticienne du mouvement. Il existe tellement de possibilités dans la combinaison du design et de la réflexion incarnée (en anglais, j’adore le mot « embodied », traduit ici par « incarné »… ça décrit la danse à la fois comme une pratique physique et un type de savoir). Alors… je me suis lancée à la maîtrise en design et je me suis rapidement affairé à l’étude de la façon de trouver une chorégraphie dans la manière dont les objets sont conçus. C’est ici qu’est né mon véritable investissement en pratiques multimédias. Mon désir était de « spéculer » (un terme sophistiqué que les designers aiment bien) sur l’impact de mon savoir incarné de chorégraphe en lien avec la transformation d’un futur design centré sur le corps. Différents médiums technologiques, tels que le rendu numérique, les capteurs corporels, le code, les animations numériques, les visualisations 3D et la réalité artificielle, sont devenus des outils me permettant d’observer le corps et ses comportements dans le mouvement de la vie quotidienne. À travers ces lentilles, j'ai pu relier ma pratique de la danse aux systèmes de pensée ancrés dans chaque technologie. Je veux en apprendre davantage sur ces multiples formes de médias, ainsi que sur leurs processus de réflexion. 

En quoi ton processus chorégraphique est-il différent quand tu travailles avec de l’art multidisciplinaire ou sur une création en danse seulement ?

C’est un casse-tête extrêmement compliqué. Lorsque j'utilise des œuvres d'art multidisciplinaires pour créer, mon processus chorégraphique ne se concentre pas uniquement sur le corps humain. J’expérimente immédiatement avec l’incorporation de ces autres matériaux dans mes intuitions de mouvement. Mon travail montre souvent le corps en relation avec l’espace, le temps, l’atmosphère, la technologie ou l’essence (la liste pourrait continuer) de la performance. Cette idée d’être « en relation » est très importante dans ma pratique artistique. Le corps et l’esprit des humain.es qui performent sont constamment en interaction avec les propositions multidimensionnelles incluses dans la performance. C’est à ce moment que des tensions complexes, mais excitantes surviennent. Ceci garde mes collaborateur.trices et moi-même dans l’expérimentation, le test, l’écoute et la recherche de nouvelles manières de créer un dialogue entre le corps et le matériel non-dansant. 

Ta compagnie Andrea Peña & Artists explore des thèmes au-delà du mouvement. Peux-tu nous parler de ces collaborations entre artistes de différents horizons et disciplines et comment elles ont influencé les histoires que tu racontes aujourd’hui ?

La partie « & Artists » d’« Andrea Peña & Artists » est la partie la plus importante du nom. Au-delà de la danse, AP&A est une compagnie qui vise à être là pour la communauté autant qu’elle est passionnée par la création d’univers à grande échelle. Je me suis vraiment concentrée sur notre façon de faire ce que nous faisons en tant que communauté d’artistes, plutôt que sur le résultat. Par exemple, nous avons récemment publié un manifeste de compagnie sur le site web d’AP&A (une déclaration écrite qui dépeint nos valeurs). Je sentais que c’était important d’être transparent et d’affirmer publiquement comment nous comptons faire les choses différemment. Nous visons à façonner un nouvel avenir pour le milieu de la danse.

La collaboration est au cœur de ce en quoi nous croyons, de notre ADN d’artiste. Le principe fondateur du dialogue permet à AP&A de rencontrer de nouveaux savoirs au croisement de nos différentes pratiques artistiques. C’est ce qui rend nos univers performatifs si complexes, texturés et uniques. Les conversations entre chaque collaborateur.trice, moi-même et les artistes de la performance sont vitales au sein des processus de création de toute œuvre chorégraphique de la compagnie. AP&A collabore avec des créateur.trices d'images, concepteur.trices de code, compositeur.trices, scénographes et directeur.trices de réalité virtuelle sur des projets dansés. Par exemple, l’an dernier, nous avons présenté une série de performances numériques qui exploraient l’intimité humaine à travers la technologie. Le projet s’appelait PER(FORMING) DIGITAL INTIMACIES et était organisé par le Centre PHI entre Montréal, Mexico, Ede et Berlin. La question sur laquelle nous nous sommes penché : comment pouvons-nous tomber en amour avec un.e étranger.ère à l’autre bout du monde grâce à des improvisations de mouvement guidées par un algorithme informatique? Ce fût un projet incroyable pour lequel nous avons utilisé le mouvement et la technologie comme outil pour mettre au défi notre humanité et notre capacité à entrer en relation en pleine pandémie. Les résultats ont été incroyablement touchants. 

Nous essayons toujours de trouver un nouveau langage pour nos œuvres en lien avec l’endroit, la situation ou le contexte dans lequel nous nous trouvons, plutôt que de reproduire un spectacle. Notre volonté d'être en dialogue les uns avec les autres permet à l’opinion de chacune et chacun d’être constamment en négociation avec d'autres perspectives. Je crois que c’est là que réside la beauté et la richesse de notre travail d’artiste. 

Comment vois-tu l’avenir de la technologie et de la danse ?

J’espère que bientôt il sera reconnu que la technologie fait déjà partie de la pratique chorégraphique. Pensez à la conception d’éclairages, à la scénographie, à la composition de musique, à l’improvisation, à la vidéographie… Ce sont toutes des technologies (et il y en a plusieurs autres) que la danse utilise depuis des décennies. Selon moi, l’hésitation générale envers la technologie réside dans le déni de sa présence dans notre pratique depuis des générations. Il n’y a en réalité que certaines modalités qui changent! Nous sommes exposés aux possibilités de l’intelligence artificielle, de la programmation, de la perception sensorielle numérique, de la collection de données et bien plus encore au moment où on se parle. Comment ces nouvelles technologies façonnent-elles nos possibilités de mouvement? Comment pouvons-nous intégrer ces technologies dans le but de développer notre pensée chorégraphique? Comment la technologie donne-t-elle du pouvoir aux danseur.ses? Nous voyons souvent la technologie comme une esthétique et un support visuel à nos idées. J’aimerais nous mettre au défi d’adopter un mode de pensée technologique et d’introduire cette pratique à différentes étapes du processus chorégraphique, du début de la création à la performance finale. Ainsi, nous n’utilisons pas seulement ces technologies comme outils physiques, mais nous apprenons également du savoir qui est déjà enraciné en elles. J’ai très hâte de voir la nouvelle génération de danseur.ses, créateur.trices et chorégraphes aborder les possibilités de l’intelligence à travers la technologie dans leur approche du mouvement. 

Pour plus d’informations sur Andrea, vous pouvez vous rendre sur sa page Instagram @apartists ou @chanel.tires ou sur le site web ou la page Facebook de la compagnie Andrea Peña & Artists.

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