Démontrer un intérêt sincère en tant qu’artiste en danse : Alexandra ‘Spicey’ Landé

Pour le Story Bloom de ce mois-ci, nous avons discuté plus en profondeur avec la merveilleuse Alexandra ‘Spicey’ Landé. Remarquable chorégraphe, danseuse et instructrice, Alexandra a créé et fondé un événement renommé de danse de rue en 2005: le Festival Bust A Move. Elle a poursuivi sa carrière en fondant également sa compagnie de danse EBNFLOH en 2015, avec laquelle elle crée plusieurs projets chorégraphiques innovateurs faisant référence à des thèmes sociaux tels In-Ward et Complexe R. Son incomparable talent artistique et son implication directe au sein de la communauté fait d’elle une figure majeure sur la scène street dance québécoise. En se confiant entre autres sur son approche multidisciplinaire et ses expériences en tant que femme noire dans le milieu de la danse, Spicey livre un message important auprès de notre jeune communauté : Pourquoi nous nous devons de démontrer un intérêt sincère en tant qu’artiste en danse. Ci-dessous, vous serez inspiré par ses mots. 

 

‘In Ward’ - EBNFLŌH Dance Company, Photo par David Wong

 

Au cours de ta carrière, tu as jeté les bases d’un travail chorégraphique novateur qui utilise le mouvement et des inspirations multidisciplinaires pour raconter une histoire. Parles-nous de ton processus de création. Qu’est-ce qui motives ton travail ?

Je véhicule toujours un message dans mon travail artistique. Je crée des règles et des interactions, et à travers celles-ci, je crée aussi un engagement et des observations. Je construis des éléments autour du public, ce qui force son engagement. Tu n’as pas d’autre choix que d’être impliqué. C’est ce que je recherche constamment quand je crée - un moment dans la vie. Je suis très intéressée par la manière dont les êtres humains interagissent - leur comportement, leurs normes en lien avec le genre et nos divergences de perception. Mon travail s’inspire de plusieurs éléments de la psychologie et de la philosophie. Je suis vraiment fan d’observer les extrêmes. Jusqu’où nous sommes prêts à aller, ce qui nous fait vibrer. J’aime essayer de faire ressortir les petites choses que l’on n’aime pas montrer. En particulier dans les sections solo de mes pièces, je me concentre à créer une image de ce qui se passe à l’intérieur de nous et je le fais à travers le hip hop. Il y a une sorte de familiarité spéciale avec le hip hop qui rassemble la communauté - le mouvement, la musique, la manière dont on parle, dont on s'assoit ensemble pour se réunir, se retrouver, se rencontrer. Le langage est subtil et pourtant si percutant. Je recherche ces subtilités et ces entre-deux; c’est possible que tu ne comprennes pas tout, mais ça fait partie de l’atmosphère de la scène. Bien que le hip hop soit une forme de danse codifiée, la manière dont la danse est présentée dans mon travail est parfois absurde. J’aime briser l’image et les attentes que nous avons de cet environnement établi et des sentiments qui le suivent. 

Comment te décris-tu en tant qu’artiste ? Quelles sont les valeurs que tu chéris le plus, autant pour toi-même que pour la communauté de la danse ?

Je pense que je suis une artiste multidisciplinaire. Je ne pensais pas l’être au début, parce que quand je fais quelque chose, je le fais à fond - je suis très impliquée et engagée. Tout en étant complètement investie en danse, dans le contexte de la danse de rue et du langage chorégraphique, j’ai réalisé que je suis également très intéressée par d’autres formes d’art. Je travaille présentement sur la production et création de films de danse grâce à une bourse du CAC. Je travaille aussi sur la publication d’un podcast et je collabore au processus de composition musicale pour mes pièces avec mon compositeur Shash’U. Mon champs d’action semble soudainement très large, mais en réalité, toutes ces formes se recoupent, parce qu’elles contribuent toutes à mon expression artistique. Je réalise maintenant que je peux le dire de tellement de façons. Il n’y a pas qu’une seule manière de faire, il faut simplement se le permettre et c’est ce que je fais aujourd’hui - je me le permet. En ce qui concerne mes valeurs, celles qui me tiennent le plus à coeur sont d’être authentique, présente et de toujours être respectueuse en tant qu’artiste en danse. Que ce soit pendant de bons moments ou des moments de faiblesse, je m’efforce d’être la plus authentique et honnête possible. Quand je crée et que j’explore, je vis dans le moment présent. C’est un endroit où le temps n’existe pas pour moi. En ce qui concerne le respect, c’est une valeur qui m’est très chère. Je demande qu’on me respecte et je veux que les autres en demandent autant de moi. Ce que je veux pour moi-même, je veux le donner aux autres de mon mieux. 

Grâce au mouvement Black Lives Matter, chaque plateforme affiche enfin des messages et témoignages d’injustice trop longtemps ignorés, permettant de les faire émerger, et ce également au sein de la communauté de la danse. Y-a-t-il des expériences que tu pourrais partager avec nous sur ce qu’il arrive à des personnes de couleur de vivre dans le milieu ?

Je ne pourrais pas parler au nom de tous. Déjà seulement dans mes propres expériences, il y a tant à dire. Ce que je peux partager, c’est quelque chose pour lequel je me bats et que je sens beaucoup en ce moment. Souvent quand ça se produit, que ce soit dans le monde ou dans le milieu de la danse, on choisit de ne pas y mettre notre énergie ou on fait comme si ça ne s’est pas produit, mais je ne peux même pas prétendre, car je dois vivre avec ce sentiment. Si je dois constamment décortiquer les choses et expliquer pourquoi je me sens discriminée, je n’arriverais jamais à faire mon travail. Alors je dois décider quel est mon but et ma raison d’être dans le milieu de la danse contemporaine. Suis-je ici pour changer les choses politiquement, de manière très directe ? Ou suis-je ici pour simplement créer et m’exprimer ? En m’exprimant et en apportant des éléments qui font partie de mon expression (que ce soit le hip hop ou mon passé en Haïti), je pense qu’être ici avec tout ce que je suis est assez politique. Je me suis dirigée dans un domaine qui n’existait pas il y a dix ans - la danse hip hop sur scène. Quand j’ai commencé, il y avait beaucoup de résistance et d’endroits inaccessibles, parce que je ne faisais pas ce que le milieu de la danse voulait voir. Mais la danse est pour tout le monde ! Tenter de définir qui est ce « tout le monde » devient compliqué. En réalité, le financement qui existe est pour tout le monde - tout.e artiste ou compagnie professionnelle en danse peut appliquer pour des bourses. Je réalise que mon but est de créer et d’inspirer le plus que je peux - que j’inspire une femme noire, une femme blanche, n’importe qui. Mais je trouve également une manière de briser le silence face à ces barrières méconnues et très malaisantes qui se retrouvent sur mon chemin et celui de plusieurs autres. Puisque le racisme systémique est tellement implanté, il peut être difficile à expliquer. Surtout que la majorité du temps, les injustices auxquelles j’ai fait face en tant qu’artiste n’ont pas été faites exprès. Souvent, il s’agit simplement que les normes de l’industrie aient du sens pour la majorité, mais pas pour les autres. Pour briser cette conception, le système doit permettre les différences. Il doit ouvrir l’espace aux changements. Il doit nous permettre de détruire nos murs, une personne à la fois, sans donner l’impression que nous devons livrer une guerre. Il s’agit juste d’ouvrir la conversation et de traverser des lignes invisibles. 

Le pouvoir que détient la prochaine génération est indescriptible. Quel message aimerais-tu partager avec notre communauté jeunesse pour la danse qui contribuerait à un avenir plus inclusif pour tous les artistes ?

Je crois que nous devons continuer d’avancer avec amour. Je sais que ça a l’air un peu quétaine, mais l’amour a plusieurs significations : respect, acceptation, compréhension, ouverture d’esprit, sincérité. J’ai appris à parler ouvertement d’amour grâce à mon frère et coéquipier Sangw’n, un artiste et danseur incroyable. Si nous avancions avec l’amour en tête, je sens que ça réglerait déjà beaucoup de choses. Nous ressentons tous l’amour dans nos coeurs. Démarre des conversations, parce que la curiosité aidera toujours à aller plus loin. Toutefois, la curiosité n’est que le début. Elle devrait ensuite mener vers un intérêt sincère. Quand ton intérêt est sincère, tu ne regardes pas une ou deux fois. Tu poursuis plus encore pour rester engagé dans l’apprentissage. Tu n’auras pas qu’une conversation, tu en auras plusieurs. Que ces conversations portent sur l’ouverture de tes horizons artistiques, des apprentissages sur ta communauté ou la manière de progresser de manière positive pour les communautés noire et de couleur. L’intérêt sincère demande de se mouiller plusieurs fois dans ce genre de conversations et d’être ouvert à apprendre. Pose des questions à ton entourage et à toi-même : « Pourquoi ne sommes-nous pas ouverts ? Que faisons-nous qui empêche cette ouverture? Que puis-je apprendre de nouveau ? ». Sois conscient.e de l’impact de ces nouvelles informations sur toi, ce que ça t’enseigne et comment ça peut nourrir ton parcours en danse. Il y a tellement de couches au monde de la danse et il y a tant de manières d’y contribuer. Continue d’entretenir cette conversation et rejoins le changement. 

Pour en savoir plus sur Spicey, allez voir sa page Instagram @alexspicey_lkg ou le site web d’EBNFLŌH. Nous encourageons tous les Bloomies à explorer le site web suivant pour plus de ressources concernant le mouvement Black Lives Matter canadien.

Previous
Previous

À la recherche d’un programme en danse : The School of Toronto Dance Theatre

Next
Next

Voyager en tant qu’artiste de ballet : Harrison James